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Le langage des pictogrammes - Que se passe-t-il quand nous parlons avec des images

25 janv. 2021 —
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pictograms

Des panneaux de signalisation routière aux claviers d’ordinateur en passant par les écrans d’affichage de certains appareils électroménagers et les étiquettes de lavage de nos vêtements, les pictogrammes font véritablement partie de notre quotidien, et nous les déchiffrons souvent sans même avoir à réfléchir. Certains pictogrammes ont été polis par le temps ainsi que par des siècles d’utilisation. D’autres sortent tout droit de l’esprit de graphistes ayant accordé le plus grand soin à chacune des lignes tracées afin de déli-vrer le message parfait. Ce que les pictogrammes ont tous en commun, c’est la capacité qu’ils ont de représenter un objet complexe en un nombre restreint de lignes simples.

Des panneaux de signalisation routière aux claviers d’ordinateur en passant par les écrans d’affichage de certains appareils électroménagers et les étiquettes de lavage de nos vêtements, les pictogrammes font véritablement partie de notre quotidien, et nous les déchiffrons souvent sans même avoir à réfléchir. Certains pictogrammes ont été polis par le temps ainsi que par des siècles d’utilisation. D’autres sortent tout droit de l’esprit de graphistes ayant accordé le plus grand soin à chacune des lignes tracées afin de déli-vrer le message parfait. Ce que les pictogrammes ont tous en commun, c’est la capacité qu’ils ont de représenter un objet complexe en un nombre restreint de lignes simples.

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« Les mots divisent, les images unissent »
Otto Neurath, dans « Empirisme et sociologie »

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Il leur suffit d’un carré et d’un triangle pour représenter une maison ; ou d’ajouter quelques lignes à un cercle pour obtenir le soleil. Les pictogrammes sont porteurs d’une signification que leur confère la ressemblance qu’ils ont avec des objets physiques. En ce sens, ils différent des idéogrammes, qui sont, eux, censés représenter des idées ou des concepts. Les langues se sont développées pendant des milliers d’années en recourant à ces deux types de symboles, et, jusqu’à aujourd’hui, ceux-ci peuvent toujours être utilisés séparément ou en combinaison. Prenons le temps d’examiner de près l’étiquette de votre manteau. Vous y trouverez probablement le pictogramme d’une cuve de lavage, l’idéogramme du nettoyage à sec et une combinaison du pictogramme de la cuve de lavage et de l’idéogramme de la croix afin de vous donner une instruction (« Ne pas laver »). Maintenant que nous avons clarifié les éventuelles questions d’ordre terminologique, plongeons-nous désormais dans la naissance des pictogrammes.

 

picto wash

                                              Pictogramme :         Idéogramme :         Pictogramme et idéogramme :
                                                           Lavage normal         Nettoyage à sec     Ne pas laver

Hiéroglyphes et écriture ancienne

hieroglyphLa question de savoir si l’art pariétal de la période préhistorique peut être considéré comme un art pictographique fait, certes, toujours débat. Cela ne nous empêche néan-moins pas de pouvoir faire remonter avec certitude l’utilisation des pictogrammes dans un système d’écriture à env. 3 500 av. J.-C., date de la création, par les Sumériens, de l’écriture cunéiforme, avant l’utilisation, par les Égyptiens, du système hiéroglyphique (3 200 av. J.-C.). La fascination qu’exercent les hiéroglyphes tient à ce qu’ils se conforment à quatre principes d’écriture en même temps. Ce sont, en tout premier lieu, des pic-togrammes, qui représentent exactement ce qu’ils décrivent. Les tombes comportent ain-si souvent des pictogrammes de nourriture, ou d’esclaves, dont la finalité semble être de remplacer les offrandes que font les vivants à leurs morts, par un élément revêtant une dimension magique. Dans ce contexte, le hiéroglyphe représentant un homme portant une main à sa bouche constitue une représentation du défunt en train de manger. Ce sont également, en deuxième lieu, des idéogrammes au moyen desquels le silence, par exemple, est représenté par le même pictogramme d’un homme portant la main à sa bouche. Il s’agit, en outre, en troisième lieu, d’un système phonétique dans lequel les signes sont également utilisés pour représenter des mots des mots aux consonnes sem-blables. Et il s’agit enfin, en quatrième et dernier lieu, d’un système de rébus, où chaque hiéroglyphe représente un son se combinant avec le suivant.
 

De l’écriture cunéiforme des Sumériens (3 500 av. J.-C. / IIe siècle après J.-C.) à l’écriture maya (IIIe siècle av. J.-C. / XVIe siècle après J.-C.), la plupart des écritures anciennes ont fait l’objet de la même complexification de leurs pictogrammes initiaux. Plus tard, avec l’apparition des alphabets, comme celui du grec ou de l’hébreu, le système d’écriture devint totalement phonétique. La pictographie, ou l’utilisation de pictogrammes en tant que langage, n’avait toutefois pas dit son dernier mot et devait faire un retour remarqué quelques millénaires plus tard.

 

Création de l’infographie moderne et de la signalétique des toilettes

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« L’utilisation combinée de pictogrammes et de graphiques prônée par
l’ISOTYPE se révéla tout à fait révolutionnaire et ouvrit la voie à
l’infographie telle que nous la connais-sons aujourd’hui. »

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Les penseurs allemands et autrichiens Marie Neurath (1898-1986) et Otto Neurath (1882-1945) étaient des figures centrales du Cercle de Vienne au sein duquel ils parta-geaient une mission commune : la vulgarisation des connaissances scientifiques. Ils ont ainsi rédigé plusieurs livres pour enfants dans lesquels ils s’attachaient à expliquer des phénomènes scientifiques et se sont également efforcés de rendre les informations statis-tiques, économiques et politiques accessibles au grand public. 
 

Dans les années 1930, convaincus que les images constituaient le meilleur moyen de conférer aux données un caractère compréhensibles pour les masses, ils mirent au point une méthode permettant, au moyen de schémas, de représenter de manière symbolique des informations de nature industrielle, démographique, politique ou économique. Ce système fut ensuite baptisé l’ISOTYPE (International System Of TYpographic Picture Education - Système international d’éducation par les images typographiques). L’atlas Gesellschaft und Wirtschaft (Société et économie) constitue l’une des meilleures illustrations de ce travail. 
Commandé en 1930 par le Bibliographisches Institut (Institut bibliographique) de Leipzig, cet atlas est un dossier de grand format (30×45 cm) contenant un total de 130 planches, dont 98 présentent des cartes et des graphiques relatifs à des sujets tels que l’histoire, les migrations, l’économie, l’urbanisme, etc. Les symboles utilisés dans toutes les planches y ont été conçus par le couple Neurath, en collaboration avec le graphiste allemand Gerd Antz.

 

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Deux planches extraites de l‘atlas « Gesellschaft und Wirtschaft », 
1930, et intitulées « Population active par secteurs économiques vers 1920 » et « Pertes de guerre ».

 

Au moment de la création de l’ISOTYPE, cela faisait déjà plusieurs décennies qu’un certain nombre de chercheurs recouraient à la mise au point et à l’utilisation de graphiques comme moyen de transmission de l’information. L’utilisation combinée de pictogrammes et de graphiques prônée par l’ISOTYPE se révéla néanmoins tout à fait révolutionnaire et ouvrit la voie à l’infographie telle que nous la connaissons aujourd’hui.

 

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Évolution des pictogrammes des Jeux Olympiques.

 

L’ISOTYPE a certainement servi de source d’inspiration aux officiels japonais lors de la préparation des Jeux Olympiques de Tokyo de 1964, lorsqu’ils se virent confrontés au défi d’informer un public international et hétérogène en misant sur des moyens simples. C’est ainsi que, sous la direction de Masaru Katzumie, plus d’une  trentaine de jeunes designers créèrent 20 symboles représentant les différentes catégories sportives et 39 panneaux d’information générale. Ce faisant, ils créaient le premier ensemble de pictogrammes utilisés dans des situations réelles, ainsi que la toute première signalétique des toilettes de l’histoire. Il importe ici de noter que les pictogrammes ne sont pas figés dans le temps, mais qu’ils sont en constante évolution. Notre comparaison de l’évolution des pictogrammes des Jeux Olympiques dans le temps en fournit une parfaite illustration.

 

Langage des pictogrammes

 

QueneauLes systèmes de la langue écrite et des pictogrammes recourent tous deux à des signes complexes pour véhiculer du sens. Il peut néanmoins, à première vue - et bien que cela constitue pourtant la principale finalité du langage - sembler difficile, pour les pictogrammes, de créer une séquence narrative complète. On peut, sur ce point, se référer aux expériences du romancier français Raymond Queneau (1902-1976), qui fit plusieurs tentatives en ce sens. La charge poétique du résultats ne fait, certes, aucun doute et évoque, en quelque sorte, des haïkus visuels. Il n’en demeure toutefois pas moins que toutes les expérimentations menées par Queneau durent être accompagnées d’explications écrites pour pouvoir être comprises. Mais, alors, si les pictogrammes ne constituent pas un lan-gage, comment est-il, dans ces conditions, possible d’expliquer le succès rencontré par des projets tels que ceux des symboles de la langue Bliss, qui ont été utilisés par des per-sonnes présentant toutes sortes de handicaps physiques et cognitifs ?
 

La première chose à retenir est, sans doute, que, de même que dans la langue écrite, la pictographie nécessite également un apprentissage. L’exemple le plus simple se présen-tant à l’esprit réside dans celui que nous offre les panneaux de signalisation routière.

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« Les pictogrammes s’appuient sur le contexte, peut-être plus que ne
le font les mots, pour clarifier la signification dont ils sont porteurs. »

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Les sémioticiens considèrent, de fait, que les pictogrammes constituent des modes de représentation (ou des signes) présentant une structure (syntaxe), une signification (sé-mantique) et un usage (pragmatique). Or, comme tout autre type de langue, les langues dites « iconiques » possèdent, elles aussi, une structure grammaticale. De la même ma-nière que la langue écrite, les pictogrammes sont, eux aussi, polysémiques. De même que le mot « avocat » peut tout autant désigner un auxiliaire de justice que le fruit de l’avocatier (« Un avocat mange un avocat »), le pictogramme d’un arbre peut, quant à lui, signifier « forêt » sur le panneau routier d’une route de campagne et « bois » sur un paquet de feuilles de papier.
 

Les pictogrammes s’appuient sur le contexte, peut-être plus que ne le font les mots, pour clarifier la signification dont ils sont porteurs. Prenons l’exemple de la signalétique des toilettes. Avant 1964, personne ne l’avait jamais utilisée, et la représentation graphique d’une femme et d’un homme n’était ni plus ni moins que cela : la représentation gra-phique d’une femme et d’un homme. Compte tenu du contexte dans lequel ces représen-tations graphiques avaient néanmoins été disposées, les gens comprirent que ces signes étaient là pour indiquer quelles toilettes étaient destinées aux hommes et lesquelles étaient destinées aux femmes. La notoriété et l’utilisation de cette signalétique ce sont ensuite peu à peu répandues dans le monde entier, à tel point que, de nos jours, une si-gnalétique présentant les pictogrammes d’un homme et d’une femme revêt désormais une signification première permettant de désigner l’endroit où se trouvent les toilettes.

 

 

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Signalétique des toilettes telle que conçue pour les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964.
Directeur artistique : Masaru Katzumie. Graphiste : Yoshiro Yamashita.

Responsabilité attachée à la création d’icônes

La création d’un pictogramme efficace nécessite la mise en œuvre de trois phases : la re-cherche sémiotique, la conception du pictogramme et les essais. Selon le Cambridge Dic-tionary, la sémiotique consiste en « l’étude des signes et des symboles, de leur signification et de leur utilisation ». La recherche sémiotique vise à identifier les principaux éléments permettant de signifier un objet. Le soleil, par exemple, se définit par sa forme ronde et les rayons de lumière qui en émanent. D’un point de vue graphique, les enseignants peuvent être représentés par une silhouette se tenant à côté du tableau qu’ils utili-sent dans le cadre de leur enseignement, etc. La conception d’un pictogramme consiste donc à mettre en exergue ces éléments de la manière la plus complète possible, tout en évitant au maximum les interférences. La réalisation d’essais constitue une phase tout aussi critique que les deux autres et qu’il convient de ne pas oublier.

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« Dans la mesure où la création de pictogrammes consiste en une représentation du monde qui nous entoure, cet acte est porteur d’une forte responsabilité sociale. »
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On comprend, dans ces conditions, que des protocoles particulièrement stricts puissent être mis en œuvre lorsqu’il s’agit de créer des signalétiques publiques. À cet égard, les normes ISO stipulent que les symboles doivent être présentés à un groupe de test consti-tué de manière aléatoire. Pour être accepté, un pictogramme doit ainsi être compréhensible de manière certaine ou presque certaine par plus de 67 % des usagers (ISO 9186-1989). Aux États-Unis, pour être normalisé, un pictogramme doit être compris par 85 % des usagers (ANSI Z535-1987).
 

Dans la mesure où la création de pictogrammes consiste en une représentation du monde qui nous entoure, cet acte est porteur d’une forte responsabilité sociale. Pour Sofya Po-lyakov, co-fondatrice et CEO du Noun Project - un site Internet hébergeant la plus grande collection de langage visuel au monde, bien connu des graphistes et utilisé par près de 7 millions de personnes - « le langage visuel a le pouvoir de façonner, de renforcer et de modifier les perceptions que nous avons du monde. Les symboles font partie des meilleurs outils universels qui soient pour surmonter les barrières linguistiques et cultu-relles de la communication, et il est plus important que jamais qu’ils puissent communi-quer d’une manière socialement consciente. »

 

 

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Affiche PM151 en édition limi-tée conçue par Arkotype et imprimée par Generation Press sur du papier Pop’set.

 

Kit d’hygiène personnelle pour Tag aviation sur Alchemy Paper par Oddity Studio.

 

 

Projet sur Keaykolour pour le cabinet d’architecture Busca Idrac par Agence’O.

 

Fermement convaincue de l’impact social que peuvent avoir des icônes et la représenta-tion, Sofya Polyakov a dirigé l’initiative « Redefining Women » (Redéfinir les femmes), dont l’objectif affirmé est de lutter contre les représentations stéréotypées des femmes sur le lieu de travail. Comme l’explique Sofya Polyakov, « sur Internet, quand on recherche des images liées à des mots tels que ‘entrepreneur’, ‘leader’ et ‘patron’, la grande majorité des résultats proposés sont des images d’hommes ». Comprenant plus de 60 icônes, la collection accorde une place de choix aux femmes occupant des postes dans les domaines de la conception ou de la technologie, ainsi que des postes de direc-tion

 

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Noun Project, éléments de la collection « Redifining Women ».
 

Des grottes préhistoriques aux questions sociales du XXIe siècle, les pictogrammes ont trouvé un moyen de revêtir une dimension universelle tout en étant parfaitement en phase avec leur époque. Il est, de fait, difficile de ne pas se sentir lié d’une manière quelconque à une civilisa-tion ancienne quand on découvre un glyphe représentant quelque chose d’aussi commun que du pain. Ceux qui ont vécu cette expérience à laquelle il peut arriver d’être confronté lorsque l’on se trouve à l’étranger et que le seul moyen de communiquer réside dans le traçage de petits dessins rudimentaires peuvent certainement témoigner du caractère universel que revêt le langage des pictogrammes. Des millénaires après la création des glyphes égyptiens et mayas, voilà que la boucle semble bouclée avec la création d’un nouveau type de pictogrammes visant à inclure la totalité de l’humanité dans un temps mondialisé.